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  • Photo du rédacteurFatoumata Ngom

Géej gi - Le Vieil Homme et la Mer


“Le vieil homme et la mer”, car ce jour-là, en écoutant le vieux doyen, les pêcheurs et les enfants, et en les imaginant en pleine mer face aux vagues, j’ai senti que l’esprit d’Hemingway, de Santiago et du petit Manolin était avec nous. C’est l’histoire de la dignité humaine et du courage. C’est l’histoire de pêcheurs courageux, d’enfants qui apprennent des ainés, et de femmes qui partagent une même condition. La littérature universelle et la création organique peuvent ainsi se mettre au service des politiques publiques.

Le lendemain de l’évènement au lycée de Mboro, je suis allée à la rencontre des pêcheurs, avec mon ami Ndiaga Ndiaye, leader à Mboro. Sur le plan administratif, à la suite du redécoupage administratif survenu en 2013 et acté par l’Etat du Sénégal, Mboro-sur-mer appartient désormais à la Commune de Darou Khoudoss. Cela fait partie des aspects les plus contestables de ce découpage qui dénature Mboro et le prive d’une assiette fiscale considérable. De plus, cela crée de la confusion : à la mer de Mboro, on dit « Mboro », tout simplement. 


Une fois sortie de la cité ICS Mbaye-Mbaye où je logeais, beaucoup d’émotions sur le chemin, notamment en passant devant la boutique de la famille Dabo et la pharmacie des Niayes.

Nous faisons un détour vers la « rue sans soleil », très ombrageuse à cause d’une rangée d’arbres dont les feuilles se touchent de part et d’autre de la rue. Puis direction la mer.


 

Sur la route, je constate que mon téléphone perd progressivement du réseau. Sur l’écran, la 4G se change en 3G puis en Edge, puis en rien. C’est problématique car Dread Maxim, qui avait passé la nuit à la plage, et moi devions nous retrouver pour les besoins du projet. Nous ne nous verrons pas, impossible de passer un appel et encore moins d’utiliser Internet. La connectivité au réseau mobile est un vrai problème dans cette zone et les pêcheurs l’ont déploré au moment des discussions. 


En arrivant, j’ai été tout de suite agréablement surprise de l’accueil qui m’a été réservé. Ils étaient déjà installés dans une grande case ouverte. Je suis accueillie par leur chef, qui, pour les besoins de cette rencontre, a fait un voyage depuis Saint-Louis qu’il a quitté à 4 h du matin pour pouvoir arriver à temps à Mboro. C’est un grand honneur. 


Nous faisons face à l’océan Atlantique. Il y’a beaucoup d’enfants. Un petit garçon espiègle me fait un clin d’œil, je lui souris tendrement.




 

Le matériel pour la vidéo est installé. Il y’a un petit contre-jour, mais ce n’est pas grave. L’important, c’est le contenu des échanges et le souvenir que nous en aurons. 


Les discussions commencent. Après les salutations d’usage, le dignitaire religieux du village présent dans l’assistance a animé un moment de prière.


Les pêcheurs se succèdent et leurs discours sont édifiants. Ils partagent avec moi beaucoup d’informations, ils savent qu’ils peuvent avoir confiance. Moi aussi, je me sens en confiance.


Nous parlons Wolof et cela est une vraie thérapie, de parler Wolof aussi longuement. Je me rends compte que parler vraiment Wolof me manque beaucoup. 


 

À Mboro-sur-mer, l’océan Atlantique regorge de ressources et de trésors halieutiques de toutes sortes. Mais ces ressources sont dangereusement menacées par les conséquences de la dégradation environnementale, les pratiques de pêche déloyales par les grands bateaux autorisés par les accords de coopération internationale, le manque d’infrastructures de santé et de transports, l’absence de quai de pêche, la forte densité et la pauvreté. La plage de Mboro et d’autres communes voisines servent de réceptacle aux déchets humains et à la pollution industrielle des entreprises comme les ICS. Cela nuit à la santé humaine, la biodiversité et la faune, en plus de compromettre pernicieusement les revenus financiers des villageois marins. Le gros bateau provenant d’Europe est devenu une entité. Dans l’imaginaire de ce village de pêcheurs, ce gros bateau aux moyens et dimensions disproportionnés est un racketteur autorisé par l’État. Tel un fantôme, il hante leurs esprits et nourrit de profondes désillusions. Ces âmes humaines, leurs pirogues, leurs filets rudimentaires sont si petits face au gros bateau.

"Hier, un bateau a confisqué un filet alors que, pour amener sa pirogue en mer, le pêcheur avait dû emprunter de l’argent pour acheter du pétrole" - Un pêcheur

Il y’a eu un point qui m’avait tout de suite interpellée : aucune femme n’était présente dans l’assemblée. Ni aucune petite fille et aucune jeune fille, alors que beaucoup de garçons étaient présents. Éternelles fourmis invisibles ?


À un moment des discussions, j’ai demandé pourquoi les femmes n’étaient pas là, et si je pouvais les entendre, elles aussi. Les dignitaires ont alors appelé une femme transformatrice.


Mais ce qui m’a cependant le plus émue, ce sont les enfants, ces petits bouts du divin. Déjà tout petits, ils se préoccupent de la rentabilité de la pêche, nourrissent un profond ressentiment envers le gros bateau et les ICS, et portent sur leurs épaules les problèmes des adultes. Je suis un peu submergée en les entendant. Comment être un adulte quand on n’a pas eu d’enfance ? 


Pour rendre hommage à ces braves hommes et femmes, et répandre leurs histoires, j’ai réalisé cette vidéo. Voyez-vous, ces âmes ont beaucoup de choses à dire et à partager sur leurs difficiles conditions de vie, sur leurs désirs, sur leur horizon si lointain et si flou. Ils savent déjà ce qui leur manque et ce qu’ils veulent. Ces raisons de s’inquiéter, ce sont les leurs. 




Après la rencontre, des jeunes sont venus me trouver pour me remercier. Ils m’annoncent avoir fait de moi leur marraine pour leur régate annuelle qui doit se tenir dans une semaine. Cela me touche beaucoup et j’accepte sans hésiter. Je n’ai pas pu y être comme j’avais des engagements à Dakar, mais Ndiaga a pu me amicalement représenter.


Une journée inoubliable et une promesse ferme: je reviendrai, inchalah.


Géej Gi: La mer, en Wolof

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